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Les Rois Souterrains

JEAN RASPAIL : LA BASILIQUE ROYALE ETAIT CERNEE

29 Novembre 2015 , Rédigé par Les Rois Souterrains

SIRE - JEAN RASPAIL (EDITIONS DE FALLOIS, 1991)

SIRE - JEAN RASPAIL (EDITIONS DE FALLOIS, 1991)

 L'aspect prophétique du Camp des Saints (Robert Laffont, 1973) n'est malheureusement plus à démontrer. Sire (Editions de Fallois, 1991) n'est pas en reste. Jean Raspail y décrit alors la ville de Saint-Denis, vieillie de huit modiques années. Nous y sommes.

 

 La grande et vénérable bâtisse, qui n'était autre que l'ancienne abbaye, fut abandonnée à son sort et le parc ouvert à tous comme le réclamait depuis longtemps le maire au nom de la population injustement privée d'espaces verts. Aussitôt la loi de la jungle y régna.

 Privée de son complément naturel sur lequel elle s'appuyait, dès lors la basilique se mit à son tour à souffrir. Dans les premières années de la décennie 90 on avait bien tenté une rénovation du quartier. On y avait d'abord doublé la surface de l'Hôtel de Ville qui plongea ses fondations et ses parkings cauchemardesques en pleine nécropole gallo-romaine et poussa ses murailles de béton et de verre jamais lavé à une petite largeur de rue du côté ouest de la basilique en privant définitivement de soleil un des admirables vitraux du transept. Du même coup la place Pierre de Montreuil, qui donnait de l'air à la vieille basilique assiégée et lui servait en quelque sorte de glacis, en fut réduite de plus de la moitié. Flanquant le massif Hôtel de Ville, s'avancèrent ensuite comme des tours d'assaut toute une série de bâtiments hideux hérissés de fenêtres en pointe, de surplombs, d'appendices et de décrochements qui les faisaient ressembler, peinture et élégance guerrière en moins, à des navires cuirassés d'autrefois, mais qui se seraient mutinés, tant le désordre et le laisser-aller y régnaient, toute cette bétonnerie à usage de logements et de bureaux, commerces et fast-food au rez-de-chaussée, trottoirs débordant de déchets de toutes sortes que les services municipaux, composés d'Africains costauds et pourtant de bonne volonté, étaient impuissants à résorber. Les bureaux avaient craqué les premiers. Filèrent vers des cieux plus cléments les cols blancs à cravate et veston lassés de se frayer matin et soir un chemin au métro Saint-Denis-Basilique avec la désagréable impression d'avoir traversé une frontière à cinq kilomètres au nord de Paris. De nombreux bureaux furent squattés, et aussi pas mal de logements vidés par leurs premiers locataires qui les fuyaient sans regret pour tenter d'aller vivre ailleurs dès que l'occasion s'en présentait.

 La basilique royale était cernée.

 Sa restauration venait d'être achevée quand le harcèlement commença. Ce furent d'abord des tirs au lance-pierres depuis les tours d'assaut bétonnées contre le triforium ajouré et l'immense rose de vitraux du bras ouest du transept. Ces tirs avaient lieu la nuit. Faute d'en découvrir les auteurs on apposa des grillages extérieurs sur tous les vitraux de la basilique, notamment ceux du XIIe siècle, au-dessus de déambulatoire, qui avaient été commandés par Suger, lequel fut abbé de Saint-Denis, conseiller du roi Louis VI et régent du royaume sous Louis VII. En face, on changea le calibre des boulons, mais comme le grillage, malgré tout, en stoppait la plus grande partie, ce fut de l'intérieur, cette fois, en plein jour, que la vieille église fut attaquée. Un groupe de touristes qui visitaient, le nez en l'ai, virent soudain s'étoiler en plusieurs points l'un des plus beaux vitraux de Suger, l'arbre de Jessé, où l'abbé est justement représenté, tandis qu'une bousculade près de la porte indiquait que les casseurs filaient, leur coup fait. Il fut alors décidé de démonter peu à peu les vitraux et de les remplacer par du verre blanc blindé. Puis vint le tour des stalles du chœur, appelées stalles de Gaillon, des merveilles du XVIe siècle, une marqueterie de couleur d'une beauté inimitable représentant les sibylles. Quand la sibylle de Delphes fut retrouvée défigurée, le bois de son visage martelé, sa robe déchiquetée au couteau et tout le décor Renaissance irrémédiablement saccagé, il fallut prendre une décision. Les stalles de Gaillon se trouvant dans le chœur, hors du périmètre des tombeaux qui étaient payant et gardé, on se résigna à les démonter aussi et à les enfermer dans un musée, à Paris. Le trône de l'évêque, près de l'autel, avec ses armes épiscopales et son dais, en demeura tout solitaire. L'évêque de Saint-Denis, qui était un homme simple, ne s'y asseyait d'ailleurs jamais. Il administrait mélancoliquement un diocèse dont la population augmentait au fur et à mesure que décroissait le petit peuple de ses fidèles...

POUR LES ROIS SOUTERRAINS, ET SALUER "SIRE", LE ROI. AMITIE. JEAN RASPAIL 28.XI.2015

POUR LES ROIS SOUTERRAINS, ET SALUER "SIRE", LE ROI. AMITIE. JEAN RASPAIL 28.XI.2015

 En dépit des déprédations, on visitait encore la basilique Saint-Denis en 1999. Avertis dans leurs hôtels, les touristes évitaient le métro et débarquaient en car sur le parvis, mais leur nombre se raréfiait de mois en mois. Rien à reprocher, cependant, aux robustes et rébarbatives Antillaises de la direction générale des Musées qui veillaient aux heures d'ouverture sur les tombeaux de nos rois, sortes de gardes suisses posthumes, féminins et de race noire. Elles ne plaisantaient pas avec la consigne et refusaient de vendre des billets pour la visite des tombeaux à toutes les gueules qui ne leur revenaient pas, et pour cela elles avaient l'œil, à l'affût derrière le guichet de leur guérite d'où elles surgissaient comme des furies à la moindre tentative frauduleuse de franchissement du tourniquet. Dans cette sorte de guerre civile, elles avaient choisi leur camp.

 Les plus coriaces de ces amazones d'ébène s'appelaient Rose et Rachel, deux sœurs. Cent kilos chacune, des mains comme des battoirs à linge, des biceps de coupeur de cannes à sucre, un cou de taureau, et cette prodigieuse rapidité de déplacement qui surprend parfois chez les gros, avec ça jamais malades, jamais absentes, le désespoir des syndicats, se relayant, l'une à la guérite, l'autre patrouillant comme un char d'assaut le long des grilles de protection des tombeaux, elles avaient fait de leur fidélité aux rois de France la suprême justification de leur exil loin de leurs cocotiers natals. Rose était capable de réciter la liste complète des rois sans en oublier un seul, avec les dates de leur règne, et quelquefois ça la prenait, de sa voix vibrante de négresse, bloquant net, pétrifié, tout le contenu d'un car japonais. Terminant par Charles X (1824-1830), elle concluait sur le ton de l'écrasant mépris en balayant l'air de la main : "Et après, c'est les Républiques..." En plus elle avait l'oreille fine. Qu'un instituteur se permît à l'autre bout du périmètre des tombeaux de seriner à sa harde de gamins en vagabondage socio-culturel les refrains habituels sur la tyrannie des rois de France, les lettres de cachet, la Bastille, leurs folles dépenses affamant le peuple, et l'imprudent recevait aussi sec sur le poil une sorte d'éléphant au galop qui l'envoyait valdinguer d'un coup d'épaule et apostrophait les gamins ravis : "Petits crétins! Moi, je vais vous expliquer..." Il y en avait parfois un, sur le tas, qui au sortir de cette démonstration musclée se découvrait l'âme royaliste. Tout n'était donc pas perdu.

Jean Raspail

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